La République Démocratique du Congo entre abolitionnisme et rétentionnisme de la peine de mort
Charles Kazadi Bengankuna Kanyinda Ph.D
- Université officielle de Mbujimayi
Résumé
La République démocratique du Congo chancelle entre l’abolitionnisme et le rétentionnisme de la peine de mort. En effet, en même temps qu’il consacre à l’article 215 la primauté de l’ordre public international, le constituant RD congolais restreint, à l’article 153 alinéa 4, cette primauté au seul cas des textes internationaux conformes aux lois internes. En outre, malgré sa ratification des traités et accords internationaux abolitionnistes ainsi que du moratoire onusien à l’exécution de la peine de mort, le législateur congolais renouvelle dans ses lois pénales les plus récentes, notamment celles entrées en vigueur en 2016, le régime de la peine de mort pendant qu’il n’a pu renouveler le moratoire expiré. Il va sans dire qu’aujourd’hui, la RDC est un Etat rétentionniste en droit, mais abolitionniste en fait, l’antinomie constitutionnelle et le moratoire de fait étant des facteurs majeurs de cette confusion.
I. Introduction
Chaque dix Octobre de l’année est célébrée la journée internationale de l’abolition de la peine de mort (Conseil de l’Europe, 2003). Nous avons alors résolu de partager notre réflexion sur le thème : « La République démocratique du Congo entre abolitionnisme et rétentionnisme de la peine de mort ». Il s’agit pour nous d’interroger l’arsenal juridique congolais pour en dégager si la République démocratique du Congo, en sigle R.D.C., fait partie du courant abolitionniste de la peine de mort ou, par contre, elle relève du courant rétentionniste de cette peine ; avant d’émettre notre point de vue sur cette question récurrente.
Et pour permettre à chacun de nos lecteurs de cerner le fondamental de notre étude, nous avons choisi de commencer par définir quelques concepts clés que revêt le titre sus énoncé.
En effet, par le concept peine, nous nous devons de comprendre qu’il s’agit d’une sanction prévue par une loi pour réprimer certains comportements prohibés par elle, sous la menace d’un châtiment. Autrement dit, la peine est un mal infligé à titre de punition par le juge à celui qui est reconnu coupable d’une infraction (Nyabirungu, R, 2007,). Elle est un mal physique ou moral sanctionnant la violation de l’ordre d’une société déterminée et appliquée à l’auteur de la violation ou à d’autres personnes par une ou plusieurs personnes ayant qualité pour ce faire (Nyabirungu, R, 2007,).
Et dans son acception la plus globale, « une peine est le châtiment édicté par la loi à l’effet de prévenir et, s’il y a lieu, de réprimer l’atteinte à l’ordre social qualifiée d’infraction ; châtiment infligé en matière pénale par le juge répressif, en vertu de la loi » (Cornu, G, 2008,). Le lexique juridique ne dit pas autre chose lorsqu’il définit la peine comme étant toute :
« Sanction punitive, qualifiée comme telle par le législateur, infligée par une juridiction répressive au nom de la société, à l’auteur d’une infraction en rétribution de la faute commise, l’intimidation et la réadaptation du délinquant étant les autres objectifs poursuivis » (Guinchard, S. et Debard, T. , 2012).
A dire vrai, la peine est une souffrance en ce sens que la volonté du législateur et de la société est réellement de faire souffrir le délinquant, et que la moyenne de condamnés éprouvent un réel désagrément au contact de la sanction pénale (Nyabirungu, R, 2007,).
Pour notre part, la peine n’est rien d’autre qu’une sanction répressive destinée par la loi à rétribuer l’auteur ou les autres participants à une infraction. Il va sans dire qu’en l’absence d’une infraction, il n’y a pas lieu à application d’une peine.
Aussi, le doyen Victor Kalombo Mbanga pouvait-il soutenir, avec raison pensons-nous, que ce qui crée l’infraction, c’est la peine (Kalombo M., V., 1998). S’il est vrai que la peine est le concept central du droit pénal à telle enseigne que ce droit est qualifié par rapport à elle ; il reste également vrai que le législateur ne peut pas prévoir une peine sans avoir au préalable déterminé le comportement prohibé. Ce dernier devient alors la condition de l’infliction des peines ; à moins de se livrer à des tortures (Loi n°11/010 du 13 juillet 2011). Et nous considérons comme infraction tout comportement actif ou passif prohibé par la loi et passible selon sa gravité d’une peine principale, éventuellement assortie de peines complémentaires ou accessoires, ou de mesures de sûreté.
La peine ainsi comprise ne peut relever que du droit pénal, lequel est une discipline juridique en charge de l’étude des infractions, des sanctions pénales qui en sont prévues, de la procédure appropriée pour l’application des normes pénales de fond ainsi que des modes d’exécution de ces sanctions.
Il y a lieu de noter que la peine revêt un certain nombre de caractères (Kazadi Bengankuna Kanyinda C., 2020) et qu’elle joue en société plusieurs fonctions dont les suivantes : La fonction vindicative, la fonction morale ou rétributive, la fonction de prévention individuelle ou spéciale, la fonction de prévention générale, la fonction éliminatrice, la fonction réparatrice, la fonction symbolique et la fonction de resocialisation.
Il y a lieu de noter que la fonction de resocialisation, une des plus significatives fonctions reconnues à la peine, a eu ses premières manifestations au Vatican en termes de rôle de correction. En effet, l’église catholique au moyen-âge recourait à la peine pour procurer la rédemption du coupable. Et au temps moderne les criminologues se sont basés sur ces idées de l’église mais en les laïcisant, ce qui débouchera sur la fonction resocialisante de la peine.
Désormais, la peine doit être infligée à l’individu dans le but qu’il s’amende et retrouve sa place au sein de la société. Il s’agit pour la peine de jouer un rôle thérapeutique plutôt que de se limiter à ses anciennes fonctions de vengeance et d’intimidation.
Et pour permettre à la peine de remplir pleinement sa fonction de resocialisation, trois mécanismes importants ont été institués en droit pénal contemporain. Il s’agit :
D’adapter la peine à la personnalité du prévenu : en ce sens, le dossier de personnalité du prévenu devient une pièce maitresse aidant le juge à connaitre ce qu’est le prévenu, (caractère, hérédité, dossier médical, scolarité, voisinage…) pour apprécier le degré de sa dangerosité. Ainsi, en fonction de la personnalité du prévenu, le juge prononcera une peine théoriquement égale à la personnalité mais pratiquement, une peine inégale car pour un même fait infractionnel, il pourra prononcer deux peines différentes contre deux prévenus différents, leurs dossiers de personnalité étant différents.
De transformer le milieu carcéral, lequel doit devenir désormais non pas un enfer comme c’est encore le cas dans certaines prisons de la R.D.C., mais des centres de rééducation avec des gardiens qui, loin de rester des simples chiens chiourmes, deviennent des éducateurs, artisans de la resocialisation et formateurs des prisonniers à la vie sociale et professionnelle pouvant leur procurer de l’argent à payer les amendes et envoyer à leurs domiciles.
D’effectuer un traitement postpénal car il est un fait que pendant les deux ans qui suivent la sortie de la prison, le libéré est capable de beaucoup de choses bonnes ou mauvaises. Pour ce faire, l’ancien détenu doit bénéficier d’une certaine assistance de la part de la société pour contribuer à sa réadaptation et sa réinsertion sociales.
Après cet aperçu sur la peine, il y a lieu de dire un mot sur la notion de peine de mort. En effet, autrement appelée peine capitale, la peine de mort est une sanction pénale extrême consistant pour le législateur à prévoir la possibilité d’ôter la vie à un criminel réputé très dangereux, pour le juge à ordonner et pour le bourreau à précipiter le départ du délinquant dans l’au-delà en lui ôtant la vie à titre de sanction.
Ce faisant, exécuter la peine capitale ou peine de mort revient tout simplement à tuer une personne sous couvert d’un ordre légal judiciairement exécuté.
Par ailleurs, l’abolitionnisme est un courant de pensée qui rejette le maintien de la peine de mort et lutte ainsi pour son abolition parmi les sanctions applicables aux infractions par les Etats et les juridictions pénales internationales, quelle que soit la gravité desdites infractions. Lui est opposé, le rétentionnisme ou courant rétentionniste selon lequel la peine de mort doit être retenue dans l’arsenal juridique applicable par les Etats et les juridictions pénales internationales pour sanctionner les crimes les plus graves.
Il a existé une controverse jusqu’à ce jour constatée dans la doctrine pénale au sujet de la peine de mort. En effet, cette peine divise depuis des décennies les auteurs intéressés à la question de la peine de mort en droit pénal, les faisant ainsi classer soit dans le camp des personnes qui veulent que la peine de mort figure parmi les différentes sanctions pénales instituées par la loi dans la société, soit par contre dans le camp de ceux qui militent pour l’abolition de cette peine pour l’une ou l’autre raison, en l’occurrence sa cruauté et son irréparabilité. Cependant, avant d’amorcer ladite controverse entre les tenants et les adversaires de la peine de mort, nous relevons d’abord son socle légal en termes de fondements dans le sens rétentionniste ou abolitionniste.
II. Les fondements juridiques de la peine de mort
En appliquant ou non la peine de mort, les Etats se fondent sur des textes de lois, que ces dernières soient de portée internationale ou nationale. Il s’agit ici de faire ressortir les différents traités, accords ou conventions conclus sur le plan international ou les lois internes des Etats, lesquels visent soit à instituer ou, par contre, à lutter contre la peine de mort dans les Etats du monde.
Pour notre part, nous allons énoncer plus les textes juridiques internationaux ratifiés par la R.D.C. en rapport avec l’abolition de la peine de mort ainsi que ceux nationaux congolais qui abordent dans l’un ou l’autre sens la question de la peine de mort. Nous indiquerons pour ce faire quelques dispositions du droit pénal interne à la R.D.C. qui maintiennent en vigueur la peine de mort, dispositions que nos cours et tribunaux, civils et militaires, appliquent encore en condamnant certains coupables à la peine de mort conformément à l’article 153 alinéa 4 de la Constitution de la République.
a) Les textes juridiques internationaux :
La communauté internationale a adopté des nombreux textes qui interdisent la peine de mort. La R.D.C. fait partie des Etats membres des Nations unies qui ont adopté ou ratifié lesdits textes.
Il s’agit notamment de :
La Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948;
Le Pacte international relatif aux droits civils et politiques de 1966 ;
Le deuxième Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, visant à abolir la peine de mort de 1989 ;
La Convention relative aux droits de l’enfant de 1989 ;
Le Statut de Rome portant création de la Cour pénale internationale (Statut repose sur le Traité du 17 Juillet 1998 et est entré en vigueur à la suite de la ratification de la R.D.C. en Avril 2002). Il y a lieu de signaler ici que, même s’il ne se rapporte pas à l’abolition de la peine de mort, ce Statut de Rome, ratifié par la R.D.C. le 1er Juillet 2002, exclu la peine de mort de la liste de ses peines applicables. Et pour l’avoir ratifié, la R.D.C. qui consacre la primauté de l’ordre juridique international sur l’ordre juridique interne (Article 215 de la Constitution du 18 février 2006 tel que modifiée par la loi n° 11/002 du 20 janvier 2011 portant modification de certains articles de la Constitution de la R.D.C., J.O.R.D.C., 52ème Année, n° spécial, 5 février 2011, p. 5. ; Bokolombe Batuli Yaseme in Editions Droit et Société « DES », Kinshasa, juin 2013, pp.94-98) se range parmi les pays abolitionnistes de droit, même si, comme nous allons le relever ci-dessous, l’article 153 alinéa 4 de ladite Constitution tente de restreindre le champ de cette primauté et d’entretenir une confusion.
Les diverses Résolutions adoptées par l’Assemblée générale, le Conseil économique et social et la Commission des droits de l’homme des Nations Unies pour abolir la peine de mort.
Au plan régional, plus précisément en Afrique, nous pouvons citer spécialement :
La Charte africaine des droits de l’Homme et des peuples de 1981.
b) Les textes juridiques internes abolitionnistes
La Constitution du 18 Février 2006 telle que modifiée en 2011 ;
La loi n° 09/001 du 10 Janvier 2009 portant protection de l’enfant ;
La loi n° 06/018 du 20 Juillet 2006 modifiant et complétant le décret du 30 Janvier 1940 portant code pénal congolais.
c) Les textes juridiques internes retentionnistes
Le décret du 30 Janvier 1940 portant code pénal ordinaire de la RDC tel que modifié et complété au 31 Décembre 2015 maintient encore des dispositions qui répriment de la peine de mort soit les atteintes à la vie humaine (Articles 44, 45, 49, 57, 67 alinéa 2, 81bis, 85, 156-158, 221, 222 et 223 du code pénal livre II ), soit les atteintes à la sûreté de l’Etat (Articles 181, 182, 183, 184, 185, 200, 204, 207 et 208 du code pénal livre II ).
Le code pénal militaire du 18 Novembre 2002 tel que modifié par la loi n°15/023 du 31 Décembre 2015 institue encore la peine de mort à travers plusieurs de ses dispositions.
Il sied de signaler que se basant sur l’article 153 alinéa 4 susdit de la Constitution de la République, les juridictions congolaises continuent jusqu’à ce jour à appliquer les différentes dispositions rétentionnistes sus énumérées et donc, à condamner à la peine de mort.
III. Historique de la lutte contre la peine de mort
La peine de mort, à travers l’histoire des nations, a toujours divisé les peuples en ce qui concerne son maintien en fonction comme le plus efficace moyen de lutte contre la criminalité la plus atroce ou, par contre, en ce qui est de son abolition. De nos jours, la peine de mort retient le meilleur de l’attention des défenseurs les plus avérés des droits de l’Homme dans le monde.
En effet, « La peine capitale est le sujet le plus important de droit pénal, relevant à la fois du droit pénal général, du droit pénal spécial, de la procédure pénale et du droit et science pénitentiaires. Elle est la peine la plus élevée, la plus radicale ; le châtiment suprême qui frappe les atteintes les plus graves à l’ordre social » (Raphaël Nyabirungu Mwene Songa, 2001, p. 30).
Dès le premier âge de l’humanité, la peine de mort était une réalité sociale normale en ce qu’elle était une sanction reconnue comme prévue pour les crimes les plus graves et qui sont en grand nombre. Dans son exécution, la peine de mort est accompagnée des supplices.
En effet, en regardant la carte du monde et en restant à l’écoute des voix les plus fortes et les plus généreuses, il y a lieu de considérer que la peine de mort, après avoir abrégé la vie de tant des humains, vit à son tour ses dernières heures.
En 1993, 35 pays avaient aboli la peine de mort en droit ou en pratique. De nos jours, le nombre d’Etats ayant aboli la peine de mort s’élève à 104. Et selon Amnesty international, 88% des exécutions ont lieu en Arabie saoudite, en Chine, aux Etats-unis d’Amérique et en Iran ; tandis que l’Europe est le continent abolitionniste par excellence de la peine de mort sans pour autant battre le record ni avoir le monopole de la criminalité.
L’Afrique connait des pays abolitionnistes, et qui ne souffrent pas plus de la criminalité que le reste du continent. Il s’agit notamment de l’Angola, du Cap vert, de la Côte d’ivoire, du Djibouti, de la Guinée Bissau, de l’Ile Maurice, du Mozambique, de la Namibie et des Seychelles.
Par ailleurs, même si les Etats-unis d’Amérique posent problème de toutes les démocraties en ce qu’ils demeurent retentionnistes en droit et en pratique, une évolution favorable s’y dessine :
« Moratoires des exécutions dans certains Etats, diminution du nombre des exécutions et des condamnations à mort depuis le début de l’année 2001, ralliement de grands médias à l’abolition … » (Robert Badinter, 1991, cité par Raphaël Nyabirungu mwene SONGA, 2007).
Le professeur Raphaël Nyabirungu rapporte l’histoire de la lutte contre la peine de mort en ces termes :
« Pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, la peine de mort est mise en cause au 12ème siècle. Il s’agit de la prise de position des vaudois qui, se référant au commandement du Mont Sinaï, « Tu ne tueras point », proclament que « les rois et les juges chrétiens devraient s’abstenir d’infliger les châtiments qui font couler le sang des malfaiteurs ». Ces pauvres vaudois ne sont pas entendus, et ceux qui les rejoignent sont condamnés aussi bien par les catholiques que par les protestants.
Il faut attendre le 18ème Siècle pour entendre César Bonesana, marquis de Beccaria qui, dans son traité des délits et des peines, proclame que la peine de mort n’est ni utile, ni exemplaire, ni nécessaire. Il convient que tous les peuples et tous les siècles en ont usée, mais pour relever aussitôt que l’histoire de l’humanité tout entière offre le tableau d’un vaste océan d’erreurs.
Dans la pratique, et cela jusqu’au XIXème siècle, l’évolution la plus marquante contre la peine de mort en France notamment se caractérise par :
La réduction des cas pour lesquels la peine de mort est prévue ;
La suppression des supplices et de la torture qui, naguère, accompagnaient l’exécution de la peine de mort. « Dès à présent, dispose le premier article de la loi du 30 Décembre 1791, la peine de mort ne sera plus que la simple privation de la vie ».
Alors que la loi du 26 Octobre 1795 abolit la peine de mort, « à compter de la publication de la paix générale » ; le code pénal français de 1810 rétablit en droit la peine de mort.
Le 19ème siècle est marqué, en France, par un grand courant abolitionniste, animé particulièrement par des grands écrivains de la trempe de Victor Hugo et de Lamartine. Mais tous ces efforts demeurèrent vains.
Après la guerre de 1939, le combat abolitionniste continue, mais il ne s’achève qu’avec l’élection de François Mitterrand dont le gouvernement dépose un projet de loi à l’Assemblée nationale, qui deviendra la loi n° 81-908 du 09 Octobre 1981 portant abolition de la peine de mort.
Son exposé des motifs, dans ses deux premiers paragraphes, s’impose à tous ceux qui croient en l’homme, en sa vie, en sa liberté :
« Un pays épris de libertés ne peut, dans ses lois, conserver la peine de mort. C’est un impératif pour la liberté que de n’accorder à quiconque un pouvoir absolu tel que les conséquences d’une décision soient irrémédiables. C’en est un autre que de refuser l’élimination définitive d’un individu, fût-il un criminel.
Une justice qui se dérobe à cette double exigence avoue son impuissance et réduit son influence civilisatrice. La peine de mort entérine une faillite sociale ; son abolition répond à un principe éthique. ».
Qu’à cela ne tienne, la controverse qui, depuis des siècles, oppose les partisans aux adversaires de la peine de mort repose sur un certain nombre d’arguments évoqués par l’un ou l’autre camp.
En effet, les arguments avancés par les rétentionnistes de la peine de mort sont entre autres que :
La peine de mort est une défense légitime que la société exerce contre les auteurs des crimes les plus atroces ;
La mort du coupable est une exigence de justice, une compensation d’un crime commis par un juste châtiment ;
La peine de mort est dissuasive et exemplaire.
Par contre, les arguments avancés par le courant abolitionniste face à la peine de mort énoncent notamment que :
La peine de mort n’est aucunement une défense légitime sociale ; elle est un meurtre prémédité d’un prisonnier que l’on aurait tout aussi bien pu traiter avec des moyens moins radicaux. La torture et les traitements cruels sont injustifiables dans tous les cas. La cruauté de la peine de mort est évidente ; tout comme la torture, l’exécution représente une agression physique et morale extrême à l’encontre d’une personne que les autorités avaient déjà réduite à l’impuissance.
En effet, soutient Amnesty international, si le fait de suspendre une femme par les bras jusqu’à ce qu’elle ressente une douleur atroce est à juste titre condamné comme étant une torture, comment qualifier le fait de la pendre par le cou jusqu’à ce que mort s’ensuive ?
En aucun cas, il ne saurait être question de faire retour à la loi du talion. Et à ce propos, Amnesty international estime ce qui suit :
« Il s’agit d’un argument qui fait largement appel aux sentiments et qui, s’il était valable, priverait les droits de l’homme de leur fondement. Si l’on considère qu’une personne qui commet un crime horrible « mérite » le châtiment cruel de la mort, pourquoi dans ce cas, d’autres individus ne « mériteraient-ils » pas, pour des raisons semblables, d’être torturés ou emprisonnés sans jugement ou simplement abattus sur place ? L’élément fondamental des droits de l’homme est qu’ils sont inaliénables. Nul ne peut en être privé, même s’il a commis le crime le plus atroce qui soit. Les droits de l’homme s’appliquent de la même façon aux meilleurs et aux pires d’entre les humains, c’est la raison pour laquelle ils nous protègent tous tant que nous sommes.
L’argument du châtiment se résume le plus souvent à un désir de vengeance masqué derrière un principe de justice. Ce désir peut être compris, mais il faut empêcher que la vengeance ne s’exerce … Si les codes pénaux actuels n’autorisent pas à incendier la maison d’un incendiaire, à violer un violeur ou à torturer un tortionnaire, ce n’est pas parce qu’ils tolèrent les délits. En fait, c’est parce que les sociétés comprennent qu’elles doivent être bâties sur des valeurs différentes de celles qu’elles condamnent.
On ne peut avoir recours à une exécution pour condamner un meurtre : l’exécution est elle-même un meurtre » (Nyabirungu mwene Songa Raphaël, 2001, p. 32.).
Sous cette optique, Robert Badinter, préfaçant le traité d’une figure de proue du droit pénal moderne, à savoir : Cesare Beccaria, relève le problème de l’abolition de la peine de mort posé en termes d’utilité sociale car, estime-t-il, la nature et la mesure de la peine doivent être définies en fonction de son utilité sociale (Badinter Robert, 1991, p.19). La peine de mort, poursuit-il, doit disparaitre parce qu’elle est l’expression d’une justice archaïque, voire barbare, et s’avère inutile : « Les travaux forcés à perpétuité, substitués à la peine de mort, ont toute la sévérité voulue pour détourner du crime l’esprit le plus déterminé » (Badinter Robert, 1991, p.23.).
On n’a dès lors, conclue-t-il, le droit de faire mourir, même pour l’exemple, que celui qu’on ne peut conserver sans danger (Badinter Robert, 1991, p.22).
Il n’a jamais été établi une corrélation quelconque entre la présence ou l’absence de la peine de mort dans une législation pénale et la courbe de la criminalité sanglante. Et pour dénier toute valeur dissuasive à la peine de mort, Robert Badinter évoque l’expérience de tous les siècles, où le dernier supplice n’a jamais empêché des hommes résolus de nuire (Badinter Robert, 1991, p.22).
Dans le même sens, Beccaria lui-même a soutenu que :
« Ce n’est pas la sévérité de la peine qui produit le plus d’effet sur l’esprit des hommes, mais sa durée. Notre sensibilité s’émeut plus facilement et de façon plus persistante d’impressions légères mais répétées que d’un choc violent mais passager. L’habitude exerce un empire universel sur tout être sensible, et comme c’est grâce à elle qu’il parle, qu’il marche et pourvoi à ses besoins, les idées morales ne s’impriment dans son esprit qu’à condition de le frapper longtemps et souvent. Le frein le plus puissant pour arrêter les crimes n’est pas le spectacle terrible mais momentané de la mort d’un scélérat, c’est le tourment d’un homme privé de sa liberté, transformé en bête de somme et qui paie par ses fatigues le tort qu’il a fait à la société. Chacun de nous peut faire un retour sur lui-même et se dire : « Moi aussi je serai réduit pour longtemps à une condition aussi misérable si je commets de semblables forfaits ». Cette pensée, efficace parce que souvent répétée, agit bien plus puissamment que l’idée toujours vague et lointaine de la mort.
L’impression causée par la peine de mort ne compense pas, si forte soit-elle, l’oubli rapide où elle tombe, oubli naturel à l’homme, même dans les choses les plus essentielles, et que les passions accélèrent encore. En règle générale, les passions violentes saisissent vivement, mais jamais pour longtemps … Pour la plupart de gens la peine de mort est un spectacle et, pour quelques-uns, l’objet d’une compassion mêlée de mépris ; chacun de ces deux sentiments occupe l’esprit des spectateurs, au lieu de la terreur salutaire que la loi prétend inspirer, tandis qu’en présence de peines modérées, mais qui durent, c’est ce dernier sentiment qui domine ou qui règne seul. La rigueur des châtiments devrait s’arrêter au point où le sentiment de compassion des spectateurs commence à prévaloir sur tout autre, devant un supplice fait pour eux plus encore que pour le coupable » (Beccaria Cesare, 1991, pp.128-129).
Il importe de signaler une autre intéressante étude menée dans ce sens par les Nations Unies sur le rapport entre la peine de mort et le taux d’homicides, pour aboutir à la conclusion ci-après :
« Notre recherche n’a pas permis de prouver scientifiquement que les exécutions avaient un effet dissuasif plus grand que la réclusion à perpétuité. Il est peu probable que de telles preuves soient mises en évidence dans un proche avenir. D’une façon générale, les faits ne corroborent pas l’hypothèse de l’effet dissuasif » (Nyabirungu mwene Songa R., 2007, p.33).
Enfin, les partisans de la peine de mort n’ont aucune parade contre le risque d’une erreur judiciaire.
IV. Position actuelle de la R.D.C. face aux enjeux du débat sur la peine de mort
En ce qui concerne la R.D.C., il serait difficile de relever une position tranchée par rapport à ses divers textes et à ses innombrables pratiques. Toutefois, lorsqu’on considère la possibilité pour un Etat soit d’être abolitionniste de droit, sans l’être en pratique et vice-versa, soit de disposer dans son arsenal juridique des dispositions antinomiques ; les choses se clarifient et la question devient aisée.
En effet, en vertu de l’article 215 susdit de la Constitution en vigueur en R.D.C, les traités et accords internationaux dûment ratifiés revêtent une autorité supérieure à celles des lois de la République.
Les différents textes internationaux abolitionnistes énumérés ci-dessus ayant été dûment ratifiés par la R.D.C., ils ont une autorité supérieure à celle de ses lois qui prévoient encore la peine de mort dans leurs dispositions (Loi n°024-2002 du 18 novembre 2002 portant code pénal militaire, J.O.R.D.C., n° spécial, 57ème année, première partie, Kinshasa, 29 février 2016). La conséquence logique de cette situation est en principe que la R.D.C. est à ce jour un Etat abolitionniste en droit.
Cependant, il convient de dénoncer à ce niveau les termes antinomiques de l’article 153 alinéa 4 de la Constitution susdite lorsqu’ils subordonnent, pour les cours et tribunaux, civils et militaires congolais, l’application des traités internationaux dûment ratifiés à la condition de conformité desdits traités aux lois de la République. Cette disposition de l’article 153, constitutionnelle au même titre que l’article 215 susdit, constitue à ce jour une vraie source d’équivocité pour le droit pénal congolais ; car elle restreint la primauté de l’ordre juridique international au seul cas des textes internationaux conformes aux lois de la R.D.C.
De plus, à voir que jusque dans ses lois pénales les plus récentes (Lois n°15/022 du 31 décembre 2015 modifiant et complétant le décret du 30 janvier 1940 portant code pénal et n°15/023 des mêmes jour, mois et an ; modifiant la loi n°024-2002 du 18 novembre 2002) publiées au Journal officiel de la R.D.C. à la fin du mois de Février 2016 et entrées en vigueur en Mars 2016, le législateur congolais continue à prévoir la peine de mort pour s’appliquer à certaines infractions qu’il détermine (Articles 221 à 223 du code pénal congolais, livre II), il s’en déduit une volonté rétentionniste de la peine de mort dans son chef.
En vertu de l’article 153 alinéa 4 susdit de la Constitution, les juridictions congolaises continuent à condamner à la peine de mort sur pied des dispositions des lois nationales portant codes pénaux ordinaireet militaire, malgré la consécration par l’article 215 de la même Constitution de la primauté des traités internationaux abolitionnistes sus énoncés. Il est temps de revisiter cette disposition de l’article 153 alinéa 4 de la Constitution, si la R.D.C. veut réellement consolider ses efforts vers l’abolition de la peine de mort.
Par ailleurs, il importe de se demander si l’antichambre vers l’abolition complète et effective future de la peine de mort en R.D.C., le moratoire à l’exécution de la peine de mort demeure en vigueur (Moratoire, l’O.N.U., 2007) ou bien il a déjà expiré ?
Il va sans dire que dans la pratique, la R.D.C. est encore un Etat rétentionniste de la peine de mort ; une pratique d’ailleurs confortée d’une part par l’alinéa 4 de l’article 153 de la Constitution aujourd’hui en vigueur, et d’autre part par la consécration de la peine de mort dans des récentes lois pénales internes congolaises comme noté ci-dessus.
V. Conclusion
Au cours de cette réflexion, notre démarche a tendu vers l’indication des enjeux du débat sur la peine de mort dans le monde, avant de présenter la position chancelante de la R.D.C. au point de vue du droit et au point de vue de la pratique. Il s’est en définitive avéré que la R.D.C. est à ce jour entre abolitionnisme et rétentionnisme de la peine de mort.
Pourtant, l’homme est naturellement bon ; c’est la société qui le déprave. Ainsi, par la faillite de l’organisation de la société, des multitudes d’êtres humains ont été entrainées sur le chemin de la criminalité et, plus tard, sur le chemin de l’exécution capitale par la même société qui les a dépravées.
De même, par la méchanceté des humains, la corruptibilité ou l’insuffisance des magistrats, des têtes innocentes sont tombées dans des condamnations et des exécutions capitales.
Dans l’un et l’autre cas, il importe de s’interroger si ces humains le méritaient objectivement, mieux si seuls ceux qui sont déclarés officiellement criminels et pendus ou fusillés en exécution d’une sentence de condamnation à la peine capitale le méritaient ? En réalité, népotisme ou règlement de compte et erreur judiciaire s’y mêlent dans la majorité de cas.
Il est certes de plus en plus constaté que la plupart de pays qui aujourd’hui maintiennent la peine de mort, lèvent le moratoire déjà souscrit sur son exécution ou retournent à l’application de cette peine ; justifient leur position par le nouveau fléau de la criminalité qu’est le terrorisme. L’atrocité et la gravité qui accompagnent le plus souvent les actes terroristes, soutiennent-ils, ne peuvent être compensées que par la peine la plus forte de l’arsenal, à savoir : la peine de mort.
C’est ici l’occasion pour nous de lancer en direction de tous et de chacun un vibrant appel pour continuer la lutte contre la peine de mort, mais en même temps réfléchir sur les mécanismes susceptibles de contenir la R.D.C. à ne pas replonger face au terrorisme qui, il nous semble, se vit déjà au quotidien dans plusieurs de ses provinces.
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Le deuxième Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, visant à abolir la peine de mort de 1989.
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La loi n° 06/018 du 20 Juillet 2006 modifiant et complétant le décret du 30 Janvier 1940 portant code pénal congolais, J.O.R.D.C., 50ème année, numéro spécial, Kinshasa, 25 Mai 2009.
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La loi n°11/010 du 13 Juillet 2011 portant criminalisation de la torture, J.O.R.D.C., Kinshasa, Juillet 2011.